mardi 11 octobre 2011

Place 57

Pertubations dans le trafic, une nouvelle de circonstance. 




Le tableau d'affichage émet un bruit de chapelet qui frétille : Quai 8.

A peine une minute plus tard, une déferlante secoue la foule, les roulettes des valises hoquètent sur les aspérités du bitume usé. Vendredi soir, gare Montparnasse bondée. C'est la bousculade comme d'habitude.
Voiture 12.
Tête de train, tout au bout, exactement où il commence à pleuvoir.
Il faut accélérer, le pire serait de devoir traverser les wagons avec ma valise.

Je regarde mon billet pour la cinquième fois, voiture 12, place 56, carré.
Carré, c'est pire que tout, il faut au contraire arrondir les angles. C'est mathématique, nuisances multipliées par deux, voire trois.
Avec ma chance habituelle, je vais me farcir une mère avec ses deux enfants qui passeront du coloriage à la console de jeux. Ma bête noire : le jeu de sept familles, ils braillent et se chicorent avant d'avoir réuni la fratrie.
Le « c'est quand qu'on arrive ? » martèlera chaque ralentissement, se fera plus pressant lors des arrêts obligatoires. La mère épuisée caressera sa progéniture d'un regard indulgent, et  lèvera les yeux aux ciel en implorant ma clémence.
Juste envie d'avoir la paix.

Voiture 9, j'arrive essoufflée, ruisselante, obligée de monter en catastrophe avant la fermeture des portes.
Le bar est pour l'instant désert.
Encore un petit effort. Je regarde mon billet pour la sixième fois, voiture 12, place 56, c'est compulsif.
Parfois,on s'assoit dans la voiture d'avant au même numéro de place, et on a l'air tellement idiot lorsqu'il faut déménager. Remettre son manteau, enlever le livre que l'on avait délicatement calé, juste là, dans le filet, à l'orée des genoux. Redescendre la valise qui pèse trois tonnes et qu'un gentleman s'était échiné à hisser dans le porte-bagage. Le regard noir qu'il vous lance à ce moment là met un point final à sa galanterie. La dernière lombaire craque au moment où vous réceptionnez le bagage.
Je préfère être complètement  « toquée » plutôt que de subir cette infamie.

Inventaire Lithéraire XI

 
Il faut avoir un gros chagrin pour faire un thé aux larmes.
Beaucoup de patience aussi.

Arnold Lobel
Hulul et Compagnie
Ecole des Loisirs