jeudi 15 mars 2012

L'Epuisette



C'était mon rendez-vous préféré de septembre. Mon échappée belle après les premières contraintes de la rentrée des classes. J'oubliais l'odeur de plastique des nouveaux protège-cahiers, j'oubliais les profs que je trouvais déjà nuls, et les potes que je n'avais pas encore. Robert  m'avait dit que cette année serait un grand cru pour le coquillage ! Robert c'est mon grand-père. La marée d'équinoxe s'annonçait avec un « Koèf » de 115 sur son Ouest France. Depuis l'été il gambergeait sur ce chiffre annonciateur de plaisirs indescriptibles, le Nirvana du pêcheur à pied. Sur son chevet, il conservait toujours le dépliant magique de tous les horaires et amplitudes des marées de l'année. C'était sa Bible à lui, son ouvrage de référence. A partir de là, il faisait des plans sur sa comète. Cette année le soleil et la lune avaient conjugué leurs efforts afin de nous faire passer un moment inoubliable.

Robert avait tenté de m'expliquer à maintes reprises le fonctionnement des marées, je ne voulais pas faire l'effort de comprendre. Je souhaitais rester avec mes incertitudes, ne pas savoir où allait toute cette foutue flotte quand elle reculait. L'été, je pestais car je devais faire des kilomètres avant de pouvoir me baigner, au passage je me griffais les pieds sur les coques qui balisaient mon chemin. Au final, je patouillais dans une eau juste dégourdie,  les pieds sur les rochers,  j'avais un paquet d'algues dans le maillot et des vaguelettes jusqu'à la taille. Le sable se transformait plus ou moins en vase molle. Bidon, la baignade ! Je pensais alors à cet endroit magique où toute cette eau se téléportait, un endroit chaud où elle devenait assurément turquoise, je réalisais même pas que le corail ça blessait les pieds pire que la bernique. Bref, j'en étais là de mes interrogations métaphysiques quand Robert m'avait proposé pour la première fois de venir avec lui.  Le moment du rituel d'initiation était arrivé, comme j'étais le seul gars de sa descendance, ça rigolait pas ! Il comptait sur moi pour reprendre le flambeau quand il serait plus en état de crapahuter sur les rochers. J'avais eu droit à la « phase théorique » avec déchiffrage des fameux « Koèfs », petit blabla sur les espèces à protéger, le discours sur l'estivant prédateur, et enfin la notice technique des outils à utiliser. Ca faisait beaucoup pour un môme de dix ans, je me sentais soudain  investi de responsabilités essentielles, alors je m'étais prêté volontiers à cette formation accélérée. 

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