mercredi 7 mars 2012

Les Bruyères



 -    Allez-viens mon pépère. On a encore le pain à prendre.

Pépère n'’accélère pas pour autant, il est réglé comme du papier musique. Chaque jour que Dieu fait, il dépose sa grosse commission à l'’angle de la rue du Prévot, ce matin il est un peu perturbé.

Madame Gilberte a inauguré le premier jour de son circuit printanier : on traverse la rue de Rivoli toujours si bruyante mais incontournable, un bref coup d'oe’œil dans la cour de l'’Hôtel de Sully dans laquelle les touristes se pressent déjà, on bifurque à gauche dans la rue de Birargue et on arrive dans le carré lumineux de la Place des Vosges. Le dégradé des briques rouges se gorge de ce premier soleil. On fait le tour, Pépère est persona non grata dans le square et à cette saison, les bancs appartiennent aux pigeons. Madame Gilberte sourit toujours en regardant les visiteurs s’'obstiner à beurrer la fiente grasse avec des kleenex immaculés. C’'est recta, au bout du compte, ils n’'ont plus que l’'extrémité du banc pour poser un quart de fesse.

Au retour, Pépère frétille en reprenant ses marques, on traverse en face de l’église Saint-Paul, on stoppe à l'’endroit précédemment indiqué. Pépère jappe de soulagement, Madame Gilberte ramasse gracieusement la chose  et on file « Au petit Versailles du Marais » acheter une bannette bien blanche et croustillante. Depuis plus de cinquante ans, sa frêle silhouette arpente le dédale des ruelles du quartier. Elle connait le degré d'’usure de chaque pavé, l'’inclinaison des colombages de ces maisons moyenâgeuses qu’'elle aime tant. Madame Gilberte fait partie du décor, on lui pardonne son franc- parler, ses excentricités, le dialogue perpétuel avec son chien Friquet. Ici elle a du panache. A presque quatre-vingts ans, elle conserve une certaine flamboyance : une alopécie partielle ne l'’a pas dissuadée de donner à ses reliquats capillaires une teinte mimolette extra-vieille. Bref, Madame Gilberte est une légende rue François Miron.
-    Qui va manger une bonne petite bavette de chez Mr Fricot ?

Le petit ratier aboie joyeusement, Madame Gilberte caresse son poil rugueux.
-    C’'est nous !  et on va bien se régaler ! Et après, on va s’'aérer dans la cour. Hein ! mon Friquet !
Elle rentre dans son appartement, la pièce de plain-pied n’'est pas plus grande que la loge d'’une concierge. Un ersatz de salle de bains, une chambre en sous-sol suffisent à son bonheur. Sur le téléviseur, des napperons amidonnés supportent le poids des disparus : mari et fils bien-aimés. Sur le mur, au dessus du sofa, sont accrochés les vivants, son autre fils Jean-Claude le jour de son mariage, et une chronologie imagée de sa petite-fille Anaïs. Le beurre grésille dans la poêle en attendant la bavette.

-    Allez, elle va se réveiller maintenant, il fait grand jour, je lui apporte son petit déjeuner.

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